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Impact de l’échantillonnage spatio-temporelle de la mesure pluviométrique sur la prévision des inondations

HD Sciences 24
May 13, 2024
3-5 min

Dans ce nouvel article de HD Science, nous explorons l'impact crucial de l'échantillonnage spatio-temporel des mesures pluviométriques sur la capacité à prévoir les inondations. Comme nous avons vu précédemment, les inondations ont des caractéristiques diverses qui ont des conséquences variées sur les humains et leurs activités (HD Sciences n°18). Pour limiter les dommages causés par ces inondations, diverses mesures sont mises en œuvre, parmi lesquelles la mise en place de modèles hydrologiques joue un rôle crucial (HD Sciences n°21).

Certaines inondations, qui sont dites “éclaires”, particulièrement dévastatrices, peuvent être difficiles à anticiper en raison d'un manque de données pluviométriques pour alimenter les modèles hydrologiques. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous commencerons par revisiter quelques concepts d'hydrologie et de météorologie. Ensuite, nous examinerons l'impact de l'échantillonnage spatio-temporel des mesures pluviométriques, en mettant en évidence les différences entre les approches décentralisée et centralisée de mesure. Enfin, nous clôturerons par une synthèse des points abordés, afin de récapituler les éléments clés discutés dans cet article.

Joignez-vous à nous pour mieux appréhender l'importance de l'échantillonnage spatio-temporel des mesures pluviométriques dans la prévision des inondations.

Qu’est ce que la réponse hydrologique d’un bassin versant ?

Tout d’abord, pour mieux comprendre l’impact de l’échantillonnage spatio-temporelle de la mesure pluviométrique sur la qualité des prévisions des inondations, il faut comprendre le concept de réponse hydrologique. La réponse hydrologique d'un bassin versant fait référence à la façon dont celui-ci réagit aux précipitations (comme on l’a vu dans les articles précédents HD Sciences n°18 & HD Sciences n°21). Lorsqu'il pleut, l'eau s'écoule à travers le paysage, se déplaçant depuis les zones les plus élevées vers les zones les plus basses. Cette réponse dépend de plusieurs facteurs :

  1. La taille et la morphologie du bassin versant : Les petits bassins versants ont généralement une réponse hydrologique plus rapide en raison de leur petite surface de drainage.
  2. La topographie : Les pentes abruptes favorisent une réponse hydrologique plus rapide, car l'eau s'écoule plus rapidement vers les cours d'eau en cas de précipitations.
  3. Les types de sol : Les sols imperméables entraînent un ruissellement plus important, accélérant la réponse hydrologique, tandis que les sols perméables permettent une infiltration plus grande et une réponse plus lente.
  4. Les types de sous-sol : Même après l’infiltration d’une partie de la pluie, certains types de sous-sols peuvent engendrer une réponse hydrologique très rapide (par exemple les karsts), même si dans l’ensemble, les sous-sols vont différer assez largement la réponse hydrologique.
  5. La couverture végétale : Une végétation dense peut réduire l'écoulement de surface et favoriser l'infiltration, ce qui peut ralentir la réponse hydrologique.
  6. L’état antécédant d’humidité : En effet, si le sol est déjà saturé en eau, l’eau ne pourra plus s’infiltrer dans le sol et donc augmenter la réponse hydrologique.

Ces facteurs combinés déterminent la vitesse à laquelle un bassin versant réagit aux précipitations et influence ainsi le débit des cours d'eau qui en découlent. A la vue de ces facteurs, on voit que les bassins versants montagneux, du fait de leur topographie et de leur petite taille, ainsi que les bassins versants urbains, du fait de l’artificialisation de leurs sols et aussi de leur petite taille, sont des bassins versants qui peuvent être très sensibles aux inondations “éclaires”, avec un temps de réponse hydrologique rapide, parfois infra-horaire.

Qu’est-ce que la variabilité spatio-temporelle de la pluie ?

La variabilité spatio-temporelle propre de la pluie va aussi influencer considérablement sur la nécessité d’échantillonnage par un système de mesure. En effet, la pluie peut être très variable spatio-temporellement, et cette forte variabilité peut être très fréquente et même caractéristique pour certains climats.  En effet, par exemple dans le nord de la France, il n’est pas rare de voir des petites pluies très régulières et relativement constantes sur de longues périodes de temps, comme le fameux “crachin breton”. Par contre, dans le sud de la France, comme autour de la Méditerranée, des orages pouvant engendrer des pluies très intenses qui sont issus de cellules avec des diamètres de parfois quelques kilomètres.

Exemple de cellules pluvieuses intenses à l’échelle kilométrique (en rouge) ©Meteociel
Exemple de cellules pluvieuses intenses à l’échelle kilométrique (en rouge) ©Meteociel

En plus de la forte variabilité spatiale de certains épisodes pluvieux, ils peuvent aussi évoluer rapidement dans le temps, se déplacer rapidement (jusqu’aux alentours de 50 km/h) ou au contraire très lentement, on dit dans ce dernier cas que la pluie est stationnaire.

Dans les milieux montagneux, il n’est pas rare de voir à cause du relief, des petites cellules pluvieuses, qui évoluent rapidement en s’intensifiant via la convection tout en restant stationnaires. Quand on est dans cette configuration, sur un bassin versant avec une forte réponse hydrologique, cela peut engendrer des inondations dévastatrices comme par exemple celle que l’on a eu dans la vallée de la Roya en 2020.

Dans de tels contextes hydrométéorologiques, une collecte de données de précipitations avec un bon échantillonnage spatio-temporelle est essentielle pour une modélisation hydrologique efficace et pour une prévision et alerte rapide face aux risques d'inondation.

Systèmes de mesures de la pluie et variabilité spatio-temporelle

Dans ce contexte, on comprend bien qu’il est cruciale d’avoir une mesure avec la résolution temporelle la plus fine possible. La plupart des dispositifs de mesure peuvent détecter les précipitations avec une résolution temporelle fine, allant jusqu'à une minute, ce qui permet de suivre efficacement l'évolution des épisodes pluvieux, même lorsqu'elle est rapide.

En revanche, la précision de la mesure spatiale varie considérablement selon la région et le type de dispositif utilisé. Les défis associés diffèrent principalement selon que la mesure est décentralisée ou centralisée. Cette distinction joue un rôle majeur dans la façon dont nous appréhendons et gérons les mesures pluviométriques.

Mesure décentralisée

La mesure de la pluie à l'aide d'un système décentralisé implique l'utilisation de plusieurs capteurs répartis sur une même zone. Il y a trois principaux capteurs qui permettent de mesurer la pluie de manière décentralisée, une méthode conventionnelle avec les pluviographes, et deux méthodes dites opportunistes à savoir les liens sol-satellites et les liens commerciaux de télécommunication.

Pour améliorer la précision spatiale de ces mesures, deux approches sont possibles : augmenter la densité des capteurs et/ou améliorer l'interpolation des données. En effet, de nombreuses études ont montré que la densité du réseau de capteurs s'avère cruciale pour reproduire efficacement les débits modélisés, ce qui contribue à une meilleure prévision des inondations. De plus, l'amélioration de l'interpolation permet de mieux comprendre l'évolution de la pluie entre deux capteurs, là où elle n'est pas mesurée. Plusieurs méthodes d'interpolation existent, allant des plus simples aux plus complexes, telles que l'inverse distance, le krigeage, ou encore des techniques de deep learning.

En résumé, une densité élevée de capteurs améliore la précision de la mesure de la pluie dans l'espace et dans le temps, ce qui est particulièrement crucial dans les zones où la réponse hydrologique est rapide, ainsi que dans les régions sujettes à des pluies intenses sur une faible étendue spatiale.

Mesure centralisée

La mesure de pluie à l’aide d’un système centralisé implique une mesure spatialisée à partir d’un instrument unique, comme par exemple le radar et le satellite météorologique.

Les satellites météorologiques, bien qu'utiles dans diverses applications en hydrométéorologie, présentent des limites importantes en termes de qualité de mesure et de résolution spatio-temporelle, d’autant plus dans un contexte d’inondations “éclaires”.

Par contre, le radar météorologique semble sur le papier être le candidat idéal, avec une très bonne résolution spatio-temporelle (~5 minutes - 1 km), et ne nécessite que d'un seul appareil pour couvrir jusqu'à une centaine de kilomètres aux alentours. La solution semble alors toute trouvée, et il faudrait installer des radars météorologiques partout pour avoir une prévision et alerte optimisée des inondations ? Malheureusement ça n’est pas si simple, et c’est lié aux quelques limites du radar :

  1. La mesure radar a besoin d’être combinée avec la mesure des pluviographes pour éviter les biais (et donc on revient à la problématique de mesure décentralisée).
  2. La mesure radar peut avoir des problèmes d’échos de sol, liées aux infrastructures au sol, ce qui peut être problématique en urbain où ces infrastructures peuvent être importantes.
  3. La mesure radar est très limitée dans un contexte montagneux ; en effet, il est aisé de comprendre, que lorsqu’une montagne se situe entre un radar et un nuage pluvieux, il est difficile pour le radar de le voir.

Bien que prometteur, le radar météorologique a des limites qui rendent la mesure de la pluie difficile dans certaines conditions, notamment dans les régions montagneuses et urbaines, où les inondations “éclaires” peuvent présenter un risque élevé.

Synthèse

En résumé, cet article met en lumière la complexité de prévoir et d'alerter sur les inondations en raison de la variabilité spatio-temporelle de la pluie et de la réponse hydrologique parfois rapide de bassins versants. Pour minimiser les risques, un système de mesure de la pluie performant est essentiel pour détecter cette variabilité.

Le radar météorologique semble être le candidat idéal pour cela, mais ses limites, notamment dans les contextes montagneux et urbains, là où le risque est le plus élevé, peuvent être problématiques. De plus, la couverture d’un territoire par un radar météorologique peut être très coûteuse, ce qui est une autre limite dans les pays en voie de développement, là où souvent le risque est accru.

Dans ces contextes, des systèmes de mesures décentralisés semblent plus appropriés, mais leur densité d'installation et la qualité de l'interpolation sont cruciales pour garantir une mesure suffisamment précise.

En conclusion, cet article souligne la difficulté d'obtenir une mesure de pluie de qualité pour prévenir les inondations. Une approche unique ne semble pas être la solution optimale pour couvrir tous les territoires et climats, et tous systèmes de mesures à ses avantages et inconvénients.

Bibliographie

Turko, 2020, Apport potentiel des liens micro-ondes commerciaux pour l’hydrologie urbaine en Afrique

Arnaud et al., 2011, Sensitivity of hydrological models to uncertainty in rainfall input

Hohmann et al., 2021, Small Catchment Runoff Sensitivity to Station Density and Spatial Interpolation: Hydrological Modeling of Heavy Rainfall Using a Dense Rain Gauge Network

Maier et al., 2020, Spatial Rainfall Variability in Urban Environments—High-Density Precipitation Measurements on a City-Scale

Sokol et al., 2021, The Role of Weather Radar in Rainfall Estimation and Its Application in Meteorological and Hydrological Modelling—A Review

Codo & Rico-Ramirez, 2018, Ensemble Radar-Based Rainfall Forecasts for Urban Hydrological Applications

https://echo2.epfl.ch/e-drologie/chapitres/chapitre2/chapitre2.html

https://echo2.epfl.ch/e-drologie/resumes/chapitre11/resume11.pdf