La mesure de la pluie représente un défi majeur en météorologie en raison de sa complexité, de sa variabilité temporelle et spatiale et des limites des instruments de mesure actuels. Dans des articles précédents, nous avons exploré diverses méthodes de mesure de la pluie. Nous avons examiné les techniques conventionnelles de mesure de la pluie au sol et par satellites, ainsi que des approches innovantes, dites opportunistes, telles que via les paraboles de télévision, qui sont la base de la technologie HD Rain. Dans cet article, nous nous pencherons sur une autre méthode novatrice : l'utilisation des antennes relais de télécommunications d’un réseau commercial de téléphonie. Comment peut-on mesurer la pluie avec des antennes relais ? C’est ce que nous allons voir dans ce nouvel article de HD Science.
On appelle un lien microonde commercial (ou CML pour Commercial Microwave Link) le trajet d’une microonde entre deux antennes, l'une émettrice et l'autre réceptrice, placées sur des pylônes de télécommunication. Ces pylônes peuvent typiquement être des antennes-relais de téléphonie mobile, qui échangent entre eux lorsqu’ils ne sont pas reliés par la fibre optique. De telles liaisons peuvent aussi être utilisées pour diffuser des émissions de radio depuis un centre d’émission vers différents territoires. Lorsqu'il pleut, la microonde qui est censée aller en direction de l’antenne réceptrice est alors en partie diffusée, déviée par les gouttes de pluies, à la manière de la lumière dans un prisme. On a alors une perte de signal reçu, correspondant à la perte de puissance de la microonde, qui est perturbée, affaiblie : on parle alors d’atténuation du signal.
Cette atténuation du signal est directement reliée à l’intensité pluvieuse (soit la quantité de pluie par unité de temps) par la relation mathématique simple suivante :
où A (dB) est l’atténuation du signal, R (mm/h) est l’intensité de la pluie, L (km) est la longueur du lien, soit la distance entre les deux antennes, et a et b qui sont des paramètres calés selon plusieurs caractéristiques (fréquence de l’onde, tailles des gouttes de pluie, température de l’eau, …).
Cette technologie pour mesurer la pluie est étudiée depuis le milieu des années 2000 dans les laboratoires de recherche, et l’utilisation de cette donnée à des fins opérationnelles commence à intéresser depuis quelques années les agences météorologiques et les opérateurs téléphoniques.
Cette méthode de mesure de la pluie, comme toute autre, présente ses avantages et ses inconvénients. Tout d'abord, elle s'appuie sur des infrastructures existantes, ce qui permet des économies significatives en termes de déploiement et d'entretien puisque ces coûts sont déjà inclus dans les frais supportés par les opérateurs de télécommunications. De plus, ces CMLs sont largement répandus à travers le monde, tant dans les pays développés que dans les pays en développement, avec une densité parfois très importante (voir image ci-dessous).
Cette méthode de mesure de la pluie présente tout de même actuellement certaines limites. D'une part, les données sont détenues par des opérateurs privés, qui peuvent considérer cette donnée comme sensible et donc difficile à obtenir pour les entreprises et les agences météorologiques. De plus, cette technologie est relativement récente par rapport aux méthodes plus conventionnelles, ce qui soulève trois principaux problèmes :
Ces défis montrent que cette technologie se trouve à un stade crucial de son évolution, à mi-chemin entre son développement en tant que technologie mature soutenue par près de 20 ans de recherches menées dans de nombreux laboratoires, et sa jeunesse, caractérisée par un développement opérationnel encore limité à l'échelle mondiale.
Cette approche opportuniste pour mesurer la pluie suscite un intérêt croissant et émerge progressivement des laboratoires de recherche avec pour but d’être intégrée aux pratiques opérationnelles des agences météorologiques des pays développés, en complément des méthodes conventionnelles de mesure (Blettner, 2022). L'utilisation des CMLs pour la mesure des précipitations présente un potentiel significatif, notamment là où les méthodes conventionnelles atteignent leurs limites, comme dans les régions avec du relief ou les zones urbaines.
De plus, cette approche est particulièrement pertinente avec la croissance rapide du déploiement des CMLs à l'échelle mondiale, y compris dans les pays en développement et les régions reculées. Cette expansion s'opère parallèlement aux contraintes budgétaires souvent rencontrées par les agences météorologiques et à la réduction des investissements dans les infrastructures de surveillance des précipitations. L'adoption de ces méthodes innovantes pour la mesure des précipitations dans les pays en développement pourrait constituer une avancée majeure, notamment dans le contexte du changement climatique et de l'augmentation des risques météo-climatiques anticipés dans les années à venir.
La technique de mesure de pluie développée par HD Rain, basée sur la mesure de l’atténuation de signaux microondes provenant de satellites, présente de nombreux points communs avec cette approche. Nous travaillons donc tout naturellement au développement de cette méthode en complément de ce que nous faisons déjà. Cela permet de plus, d’améliorer la diversité de notre réseau de mesure, en intégrant des liens microondes commerciaux fournissant des mesures de pluie réalisées au niveau du sol en plus de nos mesures réalisées sur des segments sol / satellite.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_Mie
Turko, Maxime 2020 : Apport potentiel des mesures de pluie par liens micro-ondes commerciaux pour l'hydrologie urbaine en Afrique.
Doumounia, Ali, 2015: Estimation des précipitations à partir des liens microondes commerciaux de télécommunication.
Uijlenhoet, R., A. Overeem, and H. Leijnse, 2018: Opportunistic remote sensing of rainfall using microwave links from cellular communication networks.
Blettner et al. 2022: Combining Commercial Microwave Link and Rain Gauge Observations to Estimate Countrywide Precipitation: A Stochastic Reconstruction and Pattern Analysis Approach