Les liens micro-ondes Terre satellite, que nous avons présentés précédemment, peuvent contribuer à la détection des précipitations et pourraient constituer un complément ou une alternative aux radars météorologiques terrestres, aux pluviomètres ou aux satellites dédiés à l'observation de la Terre. Mais ce type de mesure est complexe et, en raison de la jeunesse de cette solution, de nombreuses incertitudes n’ont pas encore été explorées.
Nous avons vu que la pluie affecte le signal satellite en en absorbant une partie, ce qui entraîne une atténuation de ce signal (voir l'article Retour sur la technologie HD Rain). Cette atténuation permet de calculer ensuite l'intensité des précipitations. Mais d’autres éléments de l’atmosphère interagissent avec cette mesure. En effet, les différentes composantes de l’atmosphère comme les gaz, la vapeur d’eau, ou encore les gouttes de pluie provoquent un bruit de fond atmosphérique susceptible d’altérer la mesure micro-onde. Cet article explore la nature de ce bruit et examine en détail comment il peut influencer et parfois perturber les mesures par micro-ondes.
HD Rain mesure, grâce à des antennes paraboliques située sur Terre, la quantité de signal électromagnétique reçu par ces antennes dans une gamme de fréquence donnée (les micro-ondes, autour de 12GHz). Les antennes visant des satellites d’émission TV transmettant précisément leur signal dans cette bande de fréquence, en général le signal reçu par les antennes provient très majoritairement des satellites. Mais une contribution vient s’ajouter, celle de l’atmosphère, qui crée un bruit, un signal additionnel, qu’il convient de prendre en considération.
En science des mesures, le bruit désigne l’ensemble des signaux parasites qui se superposent au signal que l’on cherche à obtenir. Comprendre et caractériser ces perturbations est crucial pour obtenir des mesures précises. Il y a deux types de bruit capables d’altérer un signal :
C'est cette seconde catégorie qui nous intéresse, plus précisément le bruit d'origine naturelle qui affecte les mesures micro-ondes.
Les molécules de gaz, les nuages ou encore les gouttes de pluie absorbent, diffusent et émettent des micro-ondes.
Par exemple, lors d’évènement pluvieux on observe une atténuation du signal provenant d’une source (un satellite - signal bleu Fig.1). En revanche, si l’on dirige notre antenne vers le ciel vide (dans une direction où il n’y a aucun satellite - signal rouge Fig.1), on constate alors une augmentation de ce signal.
En réalité, les gouttes de pluie sur le trajet ont un double effet : elles atténuent le signal micro-onde du satellite par absorption et diffusion, mais elles émettent aussi un signal par leur rayonnement naturel dans l’atmosphère.
Le bruit de fond atmosphérique fait donc référence au rayonnement électromagnétique naturel de l’atmosphère, dû, comme on l’a vu, à la pluie mais également dans une moindre mesure aux nuages et aux gaz de l’atmosphère.
En effet, tous les corps émettent une forme d’énergie appelée rayonnement électromagnétique. Ce rayonnement se propage sous forme de signaux électromagnétiques à différentes longueurs d’ondes. La quantité d'énergie émise et la longueur d'onde dominante dépendent de la température de l'objet.
Le soleil, par exemple, émet un rayonnement à de très petites longueurs d’ondes. Si petites que l’œil humain les perçoit : c’est la lumière visible !
C’est aussi le cas de notre corps. A une température bien moins chaude que le soleil, il émet un rayonnement électromagnétique à des plus grandes longueurs d'onde, dans l’infrarouge. Ce rayonnement est invisible à l'œil nu, mais peut être détecté par des caméras thermiques, conçues pour capturer cette chaleur invisible.
Les gouttes de pluie agissent de la même manière : elles émettent un rayonnement, majoritairement en infrarouge, mais une petite partie est également émise dans les micro-ondes.
L'atmosphère est donc loin d'être silencieuse, elle émet un langage bien à elle. Pour comprendre ce langage, les scientifiques utilisent une grandeur appelée température de brillance.
Imaginez maintenant un corps noir, un objet parfait qui absorbe toute l'énergie qu'il reçoit. Ce corps noir va briller, émettre des signaux à différentes fréquences. Pour une fréquence donnée, il émettra un signal d’une certaine puissance, fonction de sa température. La température de brillance d’un point de l’atmosphère est la température qu’un corps noir devrait avoir pour émettre la même quantité de signal que ce point de l’atmosphère.
Cette température de brillance, exprimée en Kelvin (K), n'est pas une température réelle, mais une mesure de l'intensité du rayonnement micro-onde émis par l'atmosphère. Elle varie en fonction de la fréquence et des conditions atmosphériques, comme la présence de vapeur d'eau, d'oxygène ou de précipitations (pluie, neige).
Si la température de brillance nous donne des informations sur l'émission de l'atmosphère, il y a une autre grandeur cruciale : la transmissivité atmosphérique. Elle représente la proportion de rayonnement électromagnétique qui traverse l'atmosphère sans être absorbée ni diffusée. En d'autres termes, elle indique la clarté de l'atmosphère pour une longueur d'onde donnée. Elle comprise entre 0 et 1, « 0 » étant la valeur pour laquelle l’atmosphère est complétement opaque, c’est-à-dire qu’elle ne laisse passer aucun signal.
Elle dépend donc des éléments de l’atmosphère. En effet plus l’atmosphère est chargée en gaz (vapeur d’eau, dioxyde de carbone) ou plus la présence de particules est importante (nuage, brouillard, aérosols), plus la transmissivité est faible. Par exemple, la transmissivité de l’atmosphère vis à vis de la lumière visible (celle du soleil) est proche de 1 un jour de grand beau temps, et proche de 0 lors des pires orages.
La transmissivité est donc un paramètre crucial pour comprendre le comportement du rayonnement électromagnétique dans l’atmosphère.
Pour déterminer ces mesures de l'atmosphère, les scientifiques utilisent des calculs complexes basés sur des codes de transfert radiatif.
Derrière la variabilité de la température de brillance se cache un processus fascinant : le transfert radiatif. Ce concept fondamental de la télédétection permet de déchiffrer le langage secret du rayonnement électromagnétique émis par l'atmosphère et d'en extraire des informations précieuses.
Le transfert radiatif est un domaine de la physique qui décrit les processus par lesquels le rayonnement interagit avec la matière : l'absorption, la diffusion et l'émission.
Nous avons précédemment énoncé, à travers l'exemple des gouttes de pluie, les trois processus radiatifs. Mais de quoi s'agit-il exactement ?
Dans notre cas ces trois processus agissent comme sur la figure 3 : au niveau du sol, le capteur reçoit et mesure le signal satellite dont une partie est absorbée par les goutte de pluie et une autre diffusée, signal satellite auquel s’ajoute les émissions naturelles des gouttes de pluie.
Pour obtenir des mesures précises des conditions atmosphériques (température de brillance, transmittance), les scientifiques utilisent des modèles ou des codes de transfert radiatif. Ces outils mathématiques, basés sur l'équation du transfert radiatif, permettent de simuler les interactions du rayonnement en tenant compte des processus d'absorption, de diffusion et d'émission.
En résumé, le transfert radiatif est un concept indispensable pour comprendre le langage secret de l'atmosphère et pour développer des technologies de télédétection performantes. Son rôle est crucial dans la recherche météorologique et dans l'amélioration de notre compréhension du climat.
Pour percer les mystères du rayonnement atmosphérique, les météorologues ont conçu des outils ingénieux : les radiomètres, capables de mesurer l’intensité du rayonnement électromagnétique d’une source (soleil, atmosphère).
Le principe de fonctionnement d'un radiomètre repose sur la capacité d'un capteur à absorber le rayonnement électromagnétique et à convertir son énergie en un signal électrique mesurable. Ce signal, analysé par des ordinateurs, révèle une multitude d'informations sur l'atmosphère.
Il existe plusieurs types de radiomètres, chacun ayant une utilité différente. Parmi eux, on trouve les radiomètres embarqués sur des satellites, appelés radiomètres spatiaux, qui permettent une observation globale de l'atmosphère, de la surface terrestre et des océans. Il y a également les radiomètres montés sur des avions ou des drones, qui offrent des mesures plus précises et détaillées des rayonnements atmosphériques. Cependant, ici, nous nous intéressons aux radiomètres terrestres, qui fournissent des mesures continues à différentes fréquences pour détecter des éléments atmosphériques tels que les gaz, les nuages ou les aérosols.
Les radiomètres terrestres se déclinent en une multitude de sous-catégories, chacune adaptée à une mission spécifique. Par exemple, les radiomètres terrestres à micro-ondes s'attaquent à l'étude de l'atmosphère, mesurent l'humidité du sol et détectent les précipitations. On peut voir ici un exemple de radiomètre terrestre : HATPRO-G2.
Les radiomètres constituent une famille diverse d'instruments essentiels pour la mesure du rayonnement électromagnétique dans une large gamme d'applications scientifiques et opérationnelles. Leur capacité à mesurer avec précision les différentes composantes de l'atmosphère nous éclaire sur les rouages du climat, de la pollution et de bien d'autres phénomènes météorologiques.
Nous avons exploré les différents aspects du bruit de fond atmosphérique mais quel est son impact direct sur la mesure HD Rain ?Notre mesure se base sur la réception de signaux micro-onde satellite, et nous considérons que lorsqu’il pleut, la variation du signal reçu est dû exclusivement à l’atténuation que la pluie provoque sur le signal satellite. Cependant, nous avons vu que les gouttes de pluie ne se contentent pas d’atténuer le signal satellite mais elles émettent elles-mêmes un signal.
Lorsque le signal satellite est atténué par la pluie, il est en parallèle augmenté par le rayonnement atmosphérique. Ce rayonnement compense en partie l’atténuation du signal par la pluie.Donc le capteur conçu par HD Rain reçoit la somme des contributions due au satellite et à l’atmosphère (voir figure 1). On peut alors définir la puissance totale mesurée par le capteur ainsi :
La puissance totale reçue par le capteur (Ptot) est la somme du signal reçu du satellite Psat et de celui de l’atmosphère Patm.
En temps normal ou lors de pluies faibles, le signal satellite P_sat domine et le bruit de fond atmosphérique P_atm est négligeable. Cependant, en cas de fortes précipitations ou de signal satellite faible, le P_atm devient significatif devant P_sat
Cet article met en lumière l’impact du bruit de fond atmosphérique sur la mesure des précipitations par micro-ondes. Nous avons d'abord exploré la nature du bruit de fond atmosphérique et son origine. En effet ce bruit est généré par les rayonnements électromagnétiques émis par les corps atmosphériques, comme les gaz, la vapeur d’eau ou encore les gouttes de pluie.Pour mieux comprendre le comportement du rayonnement électromagnétique dans l'atmosphère, nous avons expliqué les concepts de la température de brillance et de la transmissivité atmosphérique. La température de brillance mesure l'intensité du rayonnement micro-onde émis par l'atmosphère, tandis que la transmissivité indique la clarté d’un élément de l'atmosphère pour une longueur d'onde donnée.Enfin, nous avons exploré le concept du processus de transfert radiatif, qui décrit comment le rayonnement interagit avec la matière à travers l'absorption, la diffusion et l'émission pour interpréter les mesures prises par les radiomètres. Ces instruments, capables de mesurer l’intensité du rayonnement électromagnétique, jouent un rôle clé dans la détection des précipitations et la compréhension des conditions atmosphériques.En conclusion, la mesure des précipitations par micro-ondes reste un défi technique. La compréhension de ce bruit et le développement de modèles de correction précis sont essentiels pour améliorer la fiabilité et la précision de cette technologie. Dans un prochain article HD Science, nous verrons comment améliorer la mesure en prenant en compte le bruit de fond de l’atmosphère.