Vous êtes-vous déjà amusés à regarder l’impact des gouttes de pluie sur votre pare-brise ? Si vous avez une âme de météorologue, vous aurez sûrement remarqué que les gouttes produisent des impacts variables, révélant des tailles (des diamètres) et des vitesses de chute très différents. Vous aurez peut-être aussi remarqué que les impacts changent entre les lieux et les saisons. Un petit crachin breton fournit pléthore de petites gouttes, tandis qu’en début d’orage les grosses gouttes (car elles sont plus lourdes donc plus rapides à descendre du nuage) arrivent en premier. Vous aurez peut-être même eu envie de compter les gouttes, en les classant selon le diamètre de la trace produite sur le verre.
Et effectivement, le monde des gouttes de pluie n’est pas un long fleuve tranquille. Leurs tailles sont diverses et variables, il leur arrive toutes sortes de choses pendant leur chute, et les météorologues mettent une certaine application à essayer de mesurer et de mettre en équations ces phénomènes.
La capture ci-dessous (extraite de l’article scientifique Villermaux et Bossa 2009) montre une goutte ayant pris un peu de trop de tour de taille qui finit par se déformer puis par exploser, se disloquant en de multiples gouttes beaucoup plus petites. Ces petites gouttes, proches, seront ensuite susceptibles de se rencontrer, et ensuite de se mélanger (pour former de nouveau de plus grosses gouttes), ou d’exploser de nouveau. On remarque que la goutte avant explosion est tout sauf ronde. Si les très petites gouttes sont effectivement des boules, dès qu’elles deviennent un peu lourdes elles se tassent et prennent plutôt la forme de pancakes.
Les gouttes ont donc une vie aventureuse. Mais pourquoi s’intéresser à ce sujet au point d’en faire des thèmes de recherche, et un article dans HD Sciences.
Cela intéresse les météorologues notamment car une grande partie des mesures de pluie se font par télédétection, c’est-à-dire en se basant sur l’interaction entre des signaux électromagnétiques et la pluie. C’est par exemple le cas des radars qui fournissent chaque soir les cartes de pluie que vous voyez à la télévision ou sur votre application météo préférée : les radars émettent un signal, et une partie de ce signal est renvoyé à l’émetteur par les gouttes rencontrées en chemin. La quantité de signal récupérée par le radar est fonction de la quantité de pluie. Les instruments mesurant la pluie à partir de l’atténuation des signaux télécom, technique à la base du travail de HD Rain, fonctionnent de manière assez similaire. Dans tous les cas, les deux paramètres principaux permettant de savoir comment l’onde va interagir avec la pluie, et de là de mesurer la pluie sont :
Avoir une idée raisonnable de la DSD est un prérequis indispensable pour espérer faire une mesure correcte de la pluie, l’effet de la goutte sur l’onde étant très différent selon son diamètre.
Maintenant que l’on sait que les gouttes ne font pas toutes la même taille, et qu’il est important d’avoir des estimations de la répartition de ces tailles, plusieurs questions se posent : comment mesurer effectivement la taille des gouttes de pluie, quelle est cette distribution en taille (y a-t-il plus de petites ou de grosses gouttes ?), et qu’est-ce qui l’affecte. Nous allons donner quelques éléments de réponse à ces questions dans les paragraphes qui suivent !
Deux instruments principalement peuvent fournir des mesures des DSD.Le premier est le disdromètre. Derrière ce nom original se cachent plusieurs instruments distincts dédiés à la mesure de la DSD. Il s’agit pour résumer d’évaluer les tailles des gouttes de pluie au niveau du sol en les faisant passer dans un appareil. Une première manière de faire est d’utiliser un instrument muni d’un genre de tambour (un carré de mousse) sur lequel tombent les gouttes. L’instrument mesure la puissance des chocs produits par chaque goutte de pluie sur le tambour (en convertissant le choc en signal électrique), et après étalonnage on en déduit la taille des gouttes (plus le choc est important plus la goutte est grosse). Un autre type de disdromètre (celui représenté sur la photographie ci-dessous) utilise un faisceau lumineux (généralement un laser reliant une source à un récepteur). Une goutte qui passe vient couper ce laser. Le récepteur permet alors de mesurer le temps durant lequel le faisceau a été coupé et la forme de la coupure, d’où l’on déduit la taille de la goutte.
Un autre instrument utilisable est le radar Doppler à visée verticale, représenté à droite sur la photographie ci-dessus. Il s’agit d’instruments fascinants conceptuellement, lourds et relativement couteux, mais qui permettent de mesurer les DSD à différentes altitudes, et donc d’étudier leur variabilité au fil de la chute des gouttes. Ce radar émet un signal électromagnétique verticalement (vers le haut, en direction des nuages et donc des gouttes en train de tomber sur lui). Lorsque le signal rencontre une goutte, une partie du faisceau est arrêtée par la goutte et rediffusée dans toutes les directions. Une partie est donc renvoyée vers le bas à l’expéditeur, c’est-à-dire au radar. Le radar capte finalement un signal de retour (une partie du faisceau émis qui lui revient). Le temps que le faisceau a mis pour faire l’aller-retour donne la distance des gouttes concernées au radar (le faisceau voyageant à une vitesse connue, celle de la lumière), tandis que la quantité de faisceau récupéré par le radar à cette date-là donne une idée de la quantité de gouttes présentes à l’altitude dite. Jusque-là il s’agit du fonctionnement “classique” d’un radar. L’effet Doppler va apporter le petit plus donnant tout son intérêt à cette mesure. Cet effet, vécu régulièrement par tout un chacun car il explique notamment le changement de hauteur perçu dans le son d’une sirène d’ambulance passant à grande vitesse devant nous (plus aigüe, puis plus grave), stipule que la fréquence du signal renvoyée au radar va être légèrement modulée par la vitesse de la goutte rencontrée en chemin. Plus la goutte tombe vite (et donc plus elle est grosse), plus la fréquence va être modifiée entre son départ et son retour au radar. Ainsi, le radar ne recevra pas un signal à une fréquence constante (la fréquence émise), mais à différentes fréquences. La quantité de signal pour une fréquence donnée fournit une estimation du nombre de gouttes tombant à une vitesse donnée. Si l’on suppose ensuite que la vitesse de chute des gouttes est fonction de leur taille (ce qui marche assez bien), on obtient finalement une estimation du nombre de gouttes pour une taille et une altitude donnée.
En 1948, les radars, forts utiles durant la seconde guerre mondiale, commençaient déjà à être appliqués à la météorologie. Mais lorsque des météorologues canadiens se sont intéressés à la question, ils n’avaient pas accès à toutes les mesures décrites plus haut, mises au point bien plus tard. Afin de mesurer les DSD, ils sont donc sortis sous la pluie avec des feuilles imbibées de colorants pour mesurer l’empreinte que les gouttes de pluie laissaient sur ces feuilles. Ces mesures qui pourraient sembler rudimentaires ont pourtant permis d’établir un modèle pour les DSD toujours utilisé aujourd’hui. Ce modèle stipule pour faire court que le nombre de gouttes de pluie décroît exponentiellement avec le diamètre (il y a énormément de très petites gouttes, et de moins en moins de gouttes à mesure qu’elles deviennent plus grosses), et que si le nombre de très petites gouttes ne change jamais, plus la pluie est forte, plus il y a de grosses gouttes. On peut représenter visuellement cette relation ci-dessous :
L’axe vertical donne le nombre de gouttes, l’axe horizontal le diamètre. En rouge est représentée une pluie faible : il n’y a quasiment aucune goutte de plus de 3mm de diamètre. En bleu est représentée une pluie très forte : si les très petites gouttes sont toujours les plus nombreuses, les gouttes de 3mm deviennent courantes et on trouve des gouttes jusqu’à 6mm.
Ces résultats peuvent être perçus comme assez intuitifs : une petite bruine hivernale est un ensemble de très petites gouttes, tandis qu’on a tous constaté dans les orages estivaux la présence de grosses gouttes lourdes.
Ce modèle simple a ensuite été amélioré et de très nombreux modèles ont été proposés, notamment pour représenter les différents climats. Le modèle le plus utilisé aujourd’hui est basé sur une loi gamma, et sa diversité peut être illustrée sur la figure ci-dessous pour plusieurs études sous différents climats et pour différents types de pluie :
Dans tous les cas les très petites gouttes (moins de 0.5mm de diamètre) sont très nombreuses, et la taille maximale d’une goutte se situe aux environs de 6 à 7mm, car au-delà elles deviennent trop lourdes et rapides et explosent.
Entre le moment où une goutte commence à tomber d’un nuage et le moment où elle touche le sol, beaucoup de choses peuvent l’affecter, et de là affecter la DSD. Sans entrer dans les détails, on peut citer :
Tous ces phénomènes peuvent être représentés mathématiquement (dans des équations aux dérivées partielles) et comparés ou fusionnés à des observations radar ou au sol.
Dans cet article, nous avons vu que les gouttes de pluie peuvent avoir des tailles très différentes et que plusieurs instruments permettent de mesurer ces diamètres de gouttes, diamètres qui évoluent durant la chute des gouttes des nuages au sol sous l’effet notamment de l’évaporation ou des collisions entre gouttes. Nous avons par ailleurs vu qu’avoir une idée de la distribution de ces tailles (proportion de plus petites et de plus grosses gouttes) est important en météorologie, notamment pour mesurer efficacement la pluie. Ainsi, HD Rain mesure la pluie via l’atténuation que celle-ci provoque sur des signaux provenant de satellites de diffusion de la télévision. De la même manière que pour les radars, la propension d’une pluie à atténuer le signal électromagnétique est directement liée à la taille des gouttes composant cette pluie. Une grosse pluie atténue davantage le signal, et déduire la quantité de pluie qui tombe nécessite d’avoir une bonne estimation de la DSD. Pour ses travaux, HD Rain utilise des DSD modélisées comme ci-dessus (sous forme de lois gamma), en prenant comme modèle des données issues de la littérature scientifique, en adaptant le modèle suivant le climat considéré (une DSD pour la France, une autre pour la Côte d’Ivoire par exemple). Mais ces modèles restent toujours perfectibles et les incertitudes sur la DSD causent des incertitudes sur les quantités de pluie mesurées en bout de chaîne. Il est donc impératif de poursuivre les recherches sur ces sujets pour toujours mieux connaître les DSD et les phénomènes qui l’affectent.
D’autres phénomènes ne sont cependant pas en reste pour causer des incertitudes (ou à tout le moins des difficultés) sur les estimations de pluie par mesures d’atténuations de signaux électromagnétiques, comme nous le verront dans un prochain article.
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Villermaux, E. and Bossa, B.: Single-drop fragmentation determines size distribution of raindrops,10 Nat. Phys., 5, 697–702, 2009.